Journal Centre Presse du 27 décembre 2024
Jurisprudence insolite : quand les juges se lâchent
Professeur agrégé de droit à l’université de Poitiers, Lionel Andreu signe en ce mois de décembre 2024 chez Dalloz un ouvrage sur les petits arrêts de la jurisprudence insolite. Pas de côté riche en enseignements.

Votre livre montre que contrairement à ce que beaucoup imaginent, les juges peuvent faire preuve de beaucoup d’humour…

Lionel Andreu : « Oui. Ce livre rassemble une quarantaine de décisions. Il y en a qui sont amusantes, joliment rédigées, poétiques, comme celle qui décrit la poule comme  » un animal anodin et stupide, au point que nul n’est encore parvenu à le dresser, pas même un cirque chinois « . Il y a en une qui me plaît beaucoup. Elle a été rendue par le tribunal de grande instance de Lyon, en 1996. Elle concernait un éditeur qui avait rédigé un chèque sur du papier toilette. Il n’y a aucun texte qui dit sur quel papier on doit faire un chèque. Le juge rappelle que la loi n’exclut pas qu’un chèque soit rédigé sur papier libre. Mais il explique que le papier utilisé en l’espèce était trop doux, trop fragile pour servir de support à un chèque. Donc il l’écarte. »

Ces décisions dans lesquelles les juges se lâchent peuvent-elles être interprétées comme des signes de liberté ? Des signes d’énervement, parfois ?

« Certaines décisions sont plus engagées et pleines de commentaires sur la vie de leur époque. Certaines dénoncent une justice dégradée. Il y a celle d’un juge qui est face à un débiteur dont il ne comprend pas bien la situation. Il constate qu’il n’a pas le temps pour se renseigner et devra donc faire le service minimum. »

Quels autres exemples avez-vous en tête ?

« Je pense notamment à une décision qui dénonce la situation d’une femme abandonnée par le père de son enfant ou à celle qui concerne la victime d’une opération de chirurgie esthétique qui finit mal. Il y a aussi celle qui concerne un délinquant n’ayant apparemment commis une infraction que dans le seul but de retourner en prison. Le juge décrit la prison comme un lieu de villégiature. Ça fait écho à des débats de société. Bien que ce soit une décision un peu ancienne, on retrouve un peu de ces idées aujourd’hui. »

« Ce livre propose une autre porte d’entrée sur le droit »

Comment vous est venue l’idée de rédiger cet ouvrage ?

« Il y a des histoires que l’on raconte entre collègues sans avoir vraiment vu les décisions. Je me suis dit qu’il était intéressant de les vérifier et de les cataloguer pour leur consacrer un ouvrage. J’ai fait un travail de recherche. Je suis allé consulter les archives départementales et dans les greffes des juridictions pour vérifier l’existence de ces décisions, les récupérer et les retranscrire fidèlement. »

Au-delà de son côté ludique, cette approche a-t-elle aussi une vocation pédagogique ?

« Ce livre propose une autre porte d’entrée sur le droit. Ça peut servir à tout le monde, y compris aux étudiants. Le droit n’est pas forcément quelque chose de sec. Il peut y avoir des manières amusantes de l’aborder. La jurisprudence peut aussi exprimer des positions engagées. Ce livre montre que les décisions de justice reflètent toutes les facettes de la vie en société. »

« Les petits arrêts de la jurisprudence insolite », édition Dalloz.

Propos recueillis par Alain Defaye
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