· Résiliation du bail
– Cass. 3e civ., 4 mars 2021, n° 20-14.141
Le départ d’un copreneur qui n’a pas respecté l’obligation d’information du bailleur prescrite par l’article L. 411-35 du Code rural et de la pêche maritime entraîne la résiliation automatique du contrat sans que le bailleur ait à démontrer un préjudice.
Deux bailleurs ont consenti à des copreneurs, ainsi qu’à une EARL, un bail d’une durée de dix-huit années. Le 25 mars 2013, l’assemblée générale extraordinaire de l’EARL constate le retrait de l’un des preneurs de la société. Par actes des 9 octobre 2009 et 19 septembre 2013, les bailleurs ont vendu les parcelles objets du bail. Les nouveaux propriétaires saisissent le tribunal paritaire des baux ruraux en résiliation au motif que le preneur ayant quitté la société, il a cessé de participer à l’exploitation des terres et que les autres preneurs n’avaient pas demandé la poursuite du bail à leur profit. Les copreneurs restants font grief à l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Nancy de prononcer la résiliation du bail et d’ordonner leur expulsion au motif, d’une part, que l’article L. 411-31, II, 1° du Code rural et de la pêche maritime permet au bailleur de demander la résiliation du bail s’il justifie de toute contravention aux dispositions de l’article L. 411-35 du même code et, d’autre part, que le défaut d’accomplissement de l’obligation d’information du propriétaire, en cas de cessation d’activité de l’un des copreneurs, constitue un manquement aux obligations nées du bail et une violation du texte précité lequel, de portée générale, ne fait aucune distinction entre les personnes physiques et les personnes morales exploitantes. La Cour de cassation rejette le pourvoi.
C’est par l’article L. 411-35 du Code rural et de la pêche maritime, modifié par la loi du 13 octobre 2014 que l’obligation des copreneurs d’avertir le bailleur de la cessation d’exploitation de l’un d’eux est apparue. Jusqu’à présent, la jurisprudence ne s’était pas prononcée sur la sanction attachée au défaut d’information. A défaut d’information du bailleur, la résiliation du bail est encourue sur le fondement de l’article L. 411-35 du Code rural et de la pêche maritime. La cessation d’activité d’un copreneur dans le cadre de la société à laquelle le bien loué a été mis à disposition doit être sanctionnée par la résiliation de plein droit du bail comme constitutive d’une cession prohibée du contrat à la société.
C.R.
– Cass. 3e civ., 30 juin 2021, n° 20-15.481
Le preneur peut mettre les biens qu’il a pris à bail à la disposition d’une société d’exploitation dont il est associé. Il n’est pas tenu d’informer le bailleur des modifications ultérieures affectant le capital social, les fonctions exercées dans le groupement ou le contrôle de celui-ci, dès lors qu’il conserve la qualité d’associé.
Des bailleurs ont consenti le 21 juin 2007 un bail à long terme à leur fils. Les bailleurs étant décédés, ils laissent pour leur succéder, outre le preneur en place, plusieurs héritiers. En 2011, fermier a informé les nouveaux bailleurs de la mise à disposition des terres louées au profit d’une SCEA. En 2017, les bailleurs ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en résiliation du bail et expulsion du preneur au motif qu’en vendant la quasi-totalité de ses parts au sein de la SCEA, il avait irrégulièrement cédé son bail rural. Les bailleurs font grief à l’arrêt de la Cour d’appel de Paris d’avoir rejeté leurs demandes. La Cour de cassation rejette le pourvoi au motif que l’article L. 411-37 du Code rural et de la pêche maritime permet au preneur de mettre les biens qu’il a pris à bail à la disposition d’une société d’exploitation agricole dont il est associé et ne lui impose pas d’informer son bailleur des modifications ultérieures affectant le capital social, les fonctions exercées dans le groupement ou le contrôle de celui-ci, dès lors qu’il conserve la qualité d’associé.
En cas de mise à disposition des biens loués à une société d’exploitation, l’article L. 411-37 du Code rural et de la pêche maritime impose que le fermier informe le bailleur au plus tard dans les 2 mois qui suivent la mise à disposition, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. L’avis adressé au bailleur mentionne le nom de la société, le tribunal de commerce auprès duquel la société est immatriculée et les parcelles que le preneur met à sa disposition. Le preneur avise le bailleur dans les mêmes formes du fait qu’il cesse de mettre le bien loué à la disposition de la société ainsi que de tout changement intervenu dans les éléments énumérés ci-dessus. Cette disposition est strictement interprétée par la Cour de cassation. Elle n’impose pas au fermier d’informer le bailleur des évènements susceptibles d’affecter le pouvoir exercé par l’exploitant dans la société, pourvu qu’il en demeure associé.
C.R.
– Cass. 3e civ., 21 janv. 2021, n° 20-10.916
La résiliation d’un bail pour défaut de paiement des fermages n’est possible que pour des manquements intervenus sur le bail en cours. Ainsi, le bailleur ne saurait demander la résiliation du bail renouvelé, qui est un nouveau bail, pour défaut de paiement des fermages de l’ancien bail/ du bail initial.
Un bail à long terme de dix-huit ans a été conclu entre deux personnes physiques. Le preneur a manqué de payer les fermages des années 2014 et 2015. La bailleresse va délivrer deux commandements de payer. Entre ces deux commandements, le bail s’est renouvelé en 2016, à défaut de congé donné par la bailleresse. La bailleresse saisit alors le tribunal paritaire des baux ruraux en résiliation du bail pour non-paiement des fermages. Si la cour d’appel a accueilli sa demande, l’arrêt est cassé pour violation des articles L. 411-31, I, 1, L. 411-50 et L. 416-1 du Code rural et de la pêche maritime.
En l’espèce, l’action en résiliation du bail était ouverte sur le fondement de l’article L. 411-31, I, 1° du Code rural et de la pêche maritime, dans la mesure où l’on avait bien deux défauts de paiement des fermages, non régularisés suite à la mise en demeure de la bailleresse. La Cour de cassation a écarté l’application de cette disposition. Elle fait une application rigoureuse de la règle selon laquelle le bail renouvelé est un nouveau bail (article 1214 du Code civil). Ce fondement se comprend aisément. En effet, on ne saurait sanctionner le bail renouvelé pour des manquements intervenus sur un autre contrat : le bail initial. Cette solution se place dans la continuité de l’arrêt de principe (Cass. soc., 11 février 1965 : Bull. civ. IV, n°127), qui énonce qu’en principe le bailleur ne peut agir en résiliation, postérieurement au renouvellement, pour des agissements commis avant ledit renouvellement par le preneur. Ici, la Cour de cassation s’oppose à une continuité des droits et obligations du bailleur, mais au contraire entend les cloisonner au sein de chaque contrat de bail. Cet arrêt est contestable dans la mesure où il vient rajouter une condition à l’exercice du droit de résiliation du bailleur, déjà difficile à mettre en œuvre. Il implique qu’un preneur qui ne paye pas deux fermages, un sur le bail initial et un sur le bail renouvelé, n’encourt pas la résiliation. Cela implique également que le non-paiement du fermage précédant un renouvellement ne craint aucune action en résiliation, aux vues de la durée de mise en œuvre de cette action.
E.L.
· Cession de bail
– Cass. 3e civ., 6 mai 2021, n° 20-14.381
A défaut pour les copreneurs d’avoir formalisé auprès du bailleur le retrait de l’un d’eux conformément aux dispositions de l’article L. 411-35 du Code rural et de la pêche maritime, celui qui reste sur l’exploitation n’est pas en droit de solliciter seul auprès du bailleur la cession du bail au profit d’un descendant commun.
Deux exploitants ont pris à bail une parcelle agricole pour une durée de 18 ans. A la suite de l’annonce du départ à la retraite de son mari, l’épouse copreneur saisit le tribunal paritaire des baux ruraux pour demander l’autorisation de céder le bail à son fils. Cette dernière fait grief à l’arrêt de la Cour d’appel d’Amiens de déclarer irrecevable sa demande au motif qu’il n’était pas établi que le copreneur sortant ait notifié au bailleur sa décision de résilier partiellement ce titre à l’âge de sa retraite, ni que son épouse eût elle-même recours au dispositif légal de continuation de l’exploitation en son seul nom. La Cour de cassation estime que la preuve d’une acceptation par le bailleur de la résiliation du bail du seul chef d’un des copreneurs n’étant pas rapportée, la relation entre contractants s’était poursuivie et renouvelée aux mêmes conditions en sorte que le preneur restant n’avait donc pas qualité pour demander de son seul chef l’autorisation de céder son bail.
En application de l’article L. 411-35 du Code rural et de la pêche maritime lorsqu’un copreneur cesse de participer à l’exploitation du bien loué, le copreneur restant dispose d’un délai de 3 mois à compter de cette cessation d’exploitation pour demander au bailleur que le contrat se poursuive en son seul nom. A défaut d’avoir avisé le bailleur de cette cession, le bail est toujours réputé être conclu entre les deux copreneurs. Cette situation a pour conséquence que la demande de cession de bail doit être formulée par les deux copreneurs. La Cour de cassation s’inscrit dans une jurisprudence bien établie (Cass. 3e civ., 9 mars 1994, n°91-14.660).
A.A.
– Cass. 3e civ., 21 janv. 2021, n° 19-24.520
La mise à disposition de terres louées à une société doit être qualifiée de cession prohibée lorsque l’un des copreneurs n’est pas associé de la société d’exploitation bénéficiaire.
Un bail à long terme a été consenti à des époux, copreneurs, en 1998. Les terres louées ont fait l’objet d’une mise à disposition au profit d’une EARL. L’époux, qui ne pouvait exploiter, n’est jamais devenu associé de l’EARL. Les bailleresses ont intenté une action en résiliation du bail devant le tribunal paritaire des baux ruraux. La cour d’appel a rejeté leur demande. La Haute juridiction rend un arrêt de cassation pour violation des articles L. 411-31, L. 411-35 et L. 411-37 du Code rural et de la pêche maritime.
La convention de mise à disposition est un acte par lequel un preneur à bail va pouvoir faire exploiter les biens loués par une société d’exploitation, à condition que celui-ci en soit un associé exploitant. Le preneur reste cependant le titulaire du bail. Si cette condition de participation effective à la mise en valeur des biens par le prisme sociétaire fait défaut, une action en résiliation du bail s’ouvre alors. Cet arrêt vient affirmer qu’en cas de coprise à bail, l’obligation de mise en valeur des biens loués pèsent sur les deux copreneurs. Ainsi, il en découle que le manquement d’un seul à son obligation fait peser sur le bail un motif légitime de résiliation. Deux fondements sont alors possibles dans le cadre d’une action en résiliation : invoquer un manquement à la mise à disposition, ou alors tenter de la faire requalifier en cession prohibée, comme c’est le cas en l’espèce. Le manquement aux règles de la mise à disposition d’un bail suppose, pour entraîner la résiliation, de rapporter la preuve d’un préjudice tiré dudit manquement (Cass. 3e civ., 12 septembre 2019, n°19-11.721). A défaut, la seule sanction encourue était alors l’impossibilité de céder son bail pour le preneur (Cass. 3e civ., 15 octobre 2014, n°12-28.744). Mais pour résilier le bail, il est également possible d’invoquer une cession prohibée en assimilant la convention de mise à disposition irrégulière à un apport en société. L’avantage du régime de la cession prohibée étant qu’il permet la résiliation de plein droit du bail. Le régime de la cession prohibée prévu à l’article L. 411-35, appliqué au cas d’espèce, semble donc permettre de contourner l’exigence d’un préjudice. Avec cet arrêt, la Cour de cassation semble donc créer une action mixte, à la frontière de deux dispositifs légaux bien distincts. Enfin, il convient néanmoins de se demander si l’incapacité du copreneur à bail, l’empêchant de participer à la mise en valeur des biens loués, ne relève pas de la force majeure, auquel cas il serait possible d’échapper à toute sanction (Cass. 3e civ., 22 janvier 2014, n° 28-12.246).
E.L.
– Cass. 3e civ., 24 juin 2021, 19-24.52
En vertu de l’art L. 411-37 du Code rural et de la pêche maritime, les copreneurs souhaitant céder leur bail à leur descendant doivent tous deux exploiter les biens en réalisant des travaux effectifs et permanents, les simples travaux de gestion et de direction réalisés par l’un des copreneurs entraînent la perte de cette faculté pour l’ensemble des fermiers.
Un GFA consent par acte notarié un bail rural de 21 ans au profit de deux copreneurs. Suite à la délivrance d’un congé aux preneurs pour atteinte de l’âge de la retraite, les copreneurs saisissent le tribunal paritaire des baux ruraux en contestation du congé et demandent à céder le bail à leur fils. La Cour d’appel d’Amiens accueille favorablement la demande des copreneurs. Un pourvoi est formé par le bailleur soulevant le fait que l’un des copreneurs ne travaille pas de façon effective et permanente sur les biens loués et de ce fait, manque aux obligations résultant dudit bail. La Cour de Cassation casse la décision d’appel pour violation de l’article L. 411-37 du Code rural et de la pêche maritime.
En matière de baux ruraux, la règle de principe posée par l’article L. 411-35 du Code rural et de la pêche maritime reste l’interdiction de toute cession du bail. Pour autant, ce même article offre une faveur au profit des preneurs qui peuvent céder leur bail dans un cadre familial restreint. Pour ce faire, dans le cadre d’une coprise à bail, il faut veiller à ce que chacun des copreneurs remplissent leurs droits et obligations vis-à-vis du bailleur, et notamment l’obligation d’exploiter les biens loués. Ainsi, la Cour de Cassation dans cette décision fait l’objet d’une certaine rigueur en interprétant strictement les dispositions de l’article L. 411-37 qui précise bien que l’exploitation des biens loués renvoie à des travaux effectifs et permanents. En l’espèce, les juges ont fait preuve d’intransigeance, des travaux de direction et de gestion ne sont pas regardés comme des travaux d’exploitation du bien. Dans la mesure où un des copreneurs se chargeait uniquement de la comptabilité et de la prise de décisions techniques et commerciales, il viole ses obligations ce qui va court-circuiter la cession envisagée.
V.J.
· Bail rural administratif
– TJ Le Mans, 19 août 2021, n° RG 20/00813
Les principes de la directive européenne « Services » de 2006 ont vocation à s’appliquer au domaine privé de ces dernières. En conséquence, le renouvellement d’une convention de sous-occupation de biens relevant du domaine privé, bien que soumise à un statut d’ordre public, ne peut pas être revendiqué.
Une commune, concessionnaire d’un droit d’occuper et d’exploiter des biens dans une forêt domaniale gérée par l’ONF, consent une convention de sous-occupation au profit d’un couple exploitant un fonds de commerce. Les droits de la commune sont transférés à la communauté de communes. Un nouveau projet de convention de sous-occupation est proposé aux exploitants du fonds de commerce par la concessionnaire. Face à leur refus d’approuver ce projet, ils sont sommés de quitter les lieux, tout titre d’occupation leur étant dénié. Ils assignent alors la communauté de communes et l’ONF devant le tribunal judiciaire du Mans revendiquant l’existence d’un droit au bail commercial, et par-là même un droit au renouvellement. Les juges les ont déboutés. Il convient de noter que la décision en l’espèce concerne la matière commerciale, mais a vocation à être transposée en droit rural.
Les personnes morales de droit public peuvent consentir sur les biens relevant de leur domaine privé des baux commerciaux (article L. 145-2 du Code de commerce) ou ruraux (article L. 415-11 du Code rural et de la pêche maritime) soumis à un statut d’ordre public prévoyant notamment le droit au renouvellement au profit du preneur. En revanche, sur le domaine public, seules des conventions d’occupation temporaire peuvent être consenties, incompatibles avec les règles protectrices du statut. Suite à l’arrêt Promoimpresa (CJUE, 14 juillet 2016) et en application de la directive 2006/123/CE dite « directive Services » qui s’oppose à l’attribution d’un droit au renouvellement, l’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 soumet les titres d’occupation du domaine public à une procédure de mise en concurrence impliquant une limitation de leur durée (article L. 2122-2 du CGPPP ; P. Yolka, Baux ruraux, JCI. Rural, fasc. 425, spec. n°27). En se fondant sur ces évolutions, les juges étendent en l’espèce ces règles au domaine privé, suivant les interprétations ministérielles en ce sens (Rép. min. n° 12868 : JOAN 29 janv. 2019, p. 861 ; Rép. min. n° 13180, 30 janv. 2020, JO Sénat, p. 537). En effet, sans remettre en cause l’existence du bail commercial soumis au statut d’ordre public, ils s’opposent au droit au renouvellement des exploitants. En matière de baux ruraux, cela reviendrait à s’opposer au droit au renouvellement du preneur dès lors que le bailleur serait une personne morale de droit public. Une réforme est attendue afin de mettre un terme à ces contradictions entre statut d’ordre public et mise en concurrence des titres d’occupation (P-M Murgue-Varoclier, « Les baux renouvelables sur le domaine privé : des incertitudes », RFDA 2021, p.9).
M.L.
– Cass. 3e civ., 11 mars 2021, n° 20-14.385
Voir P. YOLKA, « Sur la formation du bail rural « administratif » », RD rural, n° 494, Juin 2021, comm. 166
La qualification de bail rural entre une personne morale de droit public et un exploitant agricole est retenue dès lors qu’il y a eu rencontre des consentements en vue de conclure un tel acte. C’est à la personne morale de droit public, contestant une telle qualification, d’apporter la preuve de l’existence d’une convention dérogeant au statut du fermage.
Un bail rural a été conclu sur des parcelles relevant du domaine privé d’une commune, mises à disposition par l’exploitante à une SCEA. Prenant sa retraite, elle cède ses parts sociales à une autre personne qui demande à la commune de lui donner à bail les terrains précédemment loués. Par deux délibérations, la commune propose d’établir le bail selon diverses conditions, dont la régularisation d’une convention de mise à disposition par l’intermédiaire de la SAFER pour une durée limitée. La SAFER n’étant pas intervenue, la nouvelle gérante et la SCEA exploitent les parcelles et règlent une somme pour l’année 2015. La commune saisit le tribunal paritaire des baux ruraux pour demander l’expulsion des deux occupantes ainsi qu’une indemnité d’occupation, contestant toute qualification de bail rural. L’affaire allant devant la Cour d’appel de Besançon, celle-ci rejette ces demandes ; son arrêt est confirmé par la Cour de cassation.
Les baux ruraux conclus par des personnes publiques sur des terrains relevant de leur domaine privé sont soumis au statut du fermage, avec des dérogations s’agissant des droits au renouvellement et de préemption au profit du preneur (article L. 415-11 du Code rural et de la pêche maritime). En outre, lorsqu’il s’agit de baux conclus par une commune, le conseil municipal doit se prononcer sur tous les éléments essentiels du contrat, comprenant le régime juridique et le loyer, sous peine d’annulation de la délibération (article L. 2122-21, 6° du CGCT ; CAA Nantes, 24 mai 2017, n° 15NT02382, Earl A. et M. A. c/ Cne Montmartin-en-Graignes). A rebours de ces considérations, les juges en l’espèce considèrent que la rencontre des consentements en vue de conclure un bail rural est établie, ce qui suffit à qualifier la convention de bail rural empêchant par conséquent l’expulsion des preneurs, et ce d’autant plus que la commune n’apporte aucune preuve de l’existence d’une convention dérogatoire au statut du fermage. Le fait que le conseil municipal ne se soit pas prononcé sur le régime juridique et le loyer est alors sans incidence. Cette solution est à rapprocher de celle rendue par le Conseil d’Etat concernant un contrat de vente : la vente a été réputée parfaite du fait que les parties se soient mises d’accord sur la chose et le prix (CE, 26 janv. 2021, n° 433817, Sté Pigeon Entreprises).
M.L.
· Bail à long terme et clause de long préavis
– Cass. 3e civ., 18 mars 2021, n° 20-12.552
La stipulation d’une clause de long préavis ne peut, en application de l’article L. 416-3 du Code rural et de la pêche maritime, valablement figurer que dans un bail d’une durée d’au moins 25 ans. Est ainsi réputée non écrite, comme restrictive des droits du locataire, la clause litigieuse insérée dans un bail de 24 ans.
Un bail rural à long terme a été conclu pour une durée de 24 ans qui comporte une clause de renouvellement par tacite reconduction. Par acte d’huissier de justice, le propriétaire a délivré un avis de non-renouvellement et donné congé en application de la clause précitée. Le preneur saisit le tribunal paritaire des baux ruraux en contestation de cet avis. La Cour d’appel d’Amiens donne droit à la demande de ce dernier et répute non écrite la clause litigieuse, sur le fondement de l’article L. 415-12 du Code rural et de la pêche maritime, au motif qu’elle ne pouvait valablement figurer dans un contrat conclu pour une durée de 24 ans seulement. Le pourvoi formé par la bailleresse, qui avait opposé la prescription quinquennale de l’action, est rejeté.
Le long préavis prévu par l’article L. 416-3 du Code rural et de la pêche maritime concerne les baux d’au moins 25 ans. Il ne peut être applicable à un bail d’une durée inférieure, même de 24 ans, qui est soumis au régime juridique des baux de 18 ans au moins. La Cour de cassation, en application de l’article L. 415-12 du Code rural et de la pêche maritime, considère qu’à l’égard de la durée du bail de 24 ans, toute clause restreignant les droits du preneur au titre du statut du fermage est réputée non écrite. Or l’action visant à établir ce caractère échappe à la prescription quinquennale.
A.A.
· Pas de porte
– Cass. 3e civ., 18 février 2021, 20-13.494
Le bailleur exigeant l’indemnisation des améliorations culturales du fonds lors de l’entrée en jouissance du preneur constitue une valorisation frauduleuse du droit au bail. Le preneur est en droit d’obtenir restitution des sommes indûment perçues par le bailleur en application de l’article L. 411-74 alinéa 2 du Code rural et de la pêche maritime.
Lors d’une cession d’exploitation, un cessionnaire vend plusieurs actifs d’exploitations et consent progressivement aux repreneurs plusieurs baux sur diverses parcelles. A cette occasion, le cessionnaire inclus dans le prix de cession des factures correspondant aux améliorations du fonds, aux fumures et arrières fumures. A la suite de cette cession, les repreneurs constituent un GAEC, ils y apportent les éléments d’actifs de l’exploitation et mettent à sa disposition les parcelles louées. Plus tard, les bailleurs délivrent aux preneurs un congé avec refus de renouvellement sur l’ensemble des biens pris à bail. Les preneurs s’empressent alors de saisir le tribunal paritaire des baux ruraux, en contestation du congé et en restitution de certaines sommes versées lors de la prise à bail. La Cour d’appel de Douai répondant favorablement à leurs demandes, les bailleurs se pourvoient en cassation en contestant la titularité de la créance de restitution de l’indu, terrain sur lequel les hauts magistrats ne les suivront pas.
C’est donc la seconde fois que cette affaire se retrouve examinée par la Cour de cassation qui avait reproché, lors de son premier examen en 2017, à la Cour d’appel d’Amiens, de ne pas avoir recherché si effectivement lors de la mise à disposition des terres loués et de l’apport d’une partie de l’actif de l’exploitation vendue auprès du GAEC, les copreneurs au bail étaient bel et bien restés titulaires de l’action en restitution et accessoirement de l’action en justice ou si le GAEC l’était devenu. La Cour réitère sur le fait que les versements des copreneurs au moment de la cession d’actif et de leur entrée en jouissance des terres loués ne sont qu’un moyen détourné du bailleur de monnayer le droit au bail. En effet, l’article L. 411-74 du Code rural et de la pêche maritime pose un principe de prohibition des pas de porte dans le cadre des baux ruraux, ainsi la mise à la charge des preneurs entrants de l’indemnisation des améliorations culturales du fond, des fumures et arrières fumures, pour un prix constituant plus de la moitié du prix de cession, apparaît excessif et donc injustifié. Comme tout paiement injustifié est sujet à répétition, les preneurs ont donc la possibilité d’engager une action en répétition de l’indu afin de se voir restituer les sommes litigieuses. Pris au dépourvu, et pour échapper à une telle restitution, le bailleur tente alors de contester la titularité de l’action, sans pour autant réussir à convaincre les juges de la Cour qui écartent l’hypothèse d’un transfert de l’action au profit du GAEC même si celui-ci a bénéficié des apports d’actifs et de la mise à disposition des terres loués. Puisqu’en effet, la mise à disposition des terres louées au profit du GAEC n’étant pas une opération d’apport du droit au bail, elle n’a pas pour effet de transférer au bénéficiaire les droits qui y sont relatifs, le preneur reste donc bien seul titulaire de l’action en répétition de l’indu.
V.J.